Nous vivions en outremer en Guadeloupe, puis à l’étranger au Maroc. Enfant, j’ai donc eu accès à deux paysages audiovisuels différents, deux immersions culturelles totalement divergentes. Dans les Caraïbes, où la culture créole domine avec l’organisation de rites païens, les sacrifices de cabris rendaient la mer rouge sang. En effet, ils étaient égorgés dans l’eau, pour finir par la suite en colombo à l’occasion du Banquet du Carême. La télévision ne se regardait que le soir et à l’heure du dîner avec le journal national. Le reste de la journée, on était confronté à l’extérieur de notre domicile, aux fétiches vaudous accrochés à nos portes la nuit, aux rites païens des voisins, sur un air de biguine qui est la musique locale. La proximité de la télévision avec le pouvoir était plus forte à l’époque, notamment avec les informations nationales de la métropole pour la Guadeloupe. Enfant, je n’ai pas de souvenirs de séries. Les plus récentes dont je me souvienne, je les ai vues à la pré adolescence au Maroc. Mes journées à l’école française étaient bercées par l’appel du muezzin à 17 h, qui signifiait la fin des cours. Puis on rentrait chez soi, et le petit écran allumé déroulait entre 19 h 30 et 20 h 30 les séries américaines. Du coup, il y avait deux séries que je ne manquais jamais, comme celles que regardaient mes parents et qui incarnaient pour les téléspectateurs le rêve américain : « Dallas » et mon rêve « Star Trek »... Mais aussi des îlots se démarquaient et représentaient pour moi des horizons nouveaux. J’étais passionné d’astronomie. J’avais construit mon premier télescope à 12 ans.
Puis plus tard adolescent, je dois avouer que j’ai totalement décroché. J’avais bien d’autres préoccupations que la télévision. Quand j’ai eu mon appartement avec ma première compagne et la mère de mon fils, à 20 ans, c’est à ce moment là que j’ai commencé à regarder à nouveau des séries, et notamment celle de « Friends ».
Actuellement, avec l’avènement de netflix, le choix est immense. Ces dernières années, les scénarios sont plus fouillés et nous assistons à de vrais drames shakespeariens. Bien sûr, tout le monde a accès aux mêmes séries telles que « Game of Thrones » ou encore « Rome », « House of cards », « Left over ». Et puis, il y a aussi les nouveautés qui suscitent une addiction et vous passez plus de 20 heures devant l’écran : « Blood Line », « Narcos », un biopic de Pablo Escobar. Ce biopic est tourné comme un docu-fiction et rend la série redoutable dans le sens que l’on est littéralement embarqué dans la vie et la psychologie de ce Narcos. « Black Mirror » est la plus intelligente et anticipatrice à mes yeux car elle montre concrètement toutes les dérives du « transhumanisme » via l’intelligence artificielle « IA », les réseaux sociaux, les « big datas ».
Je terminerai par une dernière série nommée « Mind Hunter » sur l’étude psychologique des serial killers qui évite de tomber dans les clichés mais crée une tension assez peu soutenable chez le spectateur en pénétrant l’esprit de ces meurtriers en série...
Je ne connais pas, à vrai dire, de séries réalisées par des artistes. J’en suis d’ailleurs assez méfiant. Cela nécessite en effet des talents de narrateurs vraiment exceptionnels. Ce qui n’est pas le cas de bon nombre de cinéastes ou vidéastes contemporains, qui n’abordent pas la narration de façon classique. Ce qui est une nécessité, me semble-t-il, pour une très bonne série. Celle-ci utilise dans la durée les mêmes ressorts que le drame grec. Et c’est ce qui les rend fascinantes : un univers totalement contemporain avec les ressorts d’Antigone ! Ce qui est le cas de « Narcos » et « Blood line » par exemple : On n’en sort pas indemne.
Valéry Grancher, « Exodus », 2015-16
Valéry Grancher, « Where is our mind ? », 2007-2014, installation video
Valéry Grancher, « HK », 2017
Valery Grancher
Saison Video 2017, online programme, PRICELESS SEA
avec Sabine Massenet et Rossella Piccinno