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Frédéric Vincent - Crystal Palace

Crystal Palace


" Crystal Palace " est une vidéo réalisée d’après le texte du philosophe Peter Sloterdijk, « Le Palais de Cristal »[1]. Ces vidéos sont réalisées selon le format d’une série télévisée et en reprennent ses codes, (générique, séquence de rappel de l’épisode précédent, images redondantes, musique, personnages récurrents).


La vidéo est divisée en cinq épisodes d’environ six minutes chacun. Le Palais de Cristal est ici interprété comme lieu symbolique du capitalisme planétaire. Cette série télé est interprétée par des artistes (Antonin Menichetti, Stéphane Lecomte, Frédéric Vincent), des danseuses (Anne Lise Dugat, Florence Budon) et un professeur de Taï-Chi-Chuan (Virgile Tanc)[2].


Chacun de ses personnages possède un caractère récurrent comme dans toute série télévisée. Ici le professeur de Taï-Chi-Chuan est le boxeur de l’ombre, la danseuse Anne Lise Dugat est Europa, la danseuse Florence Budon est America, Antonin Menichetti est le gardien des idoles, Stéphane Lecomte est Christophe Colomb, et j’y joue le rôle de l’administrateur de la tour de Babel. Le générique est le même pour ces cinq vidéos.

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 1, « Le départ », 2009

Dans le premier épisode intitulé « Le départ », Christophe Colomb acquiert l’acte de propriété de la terra incognita. Pendant que joue une musique sacrée orthodoxe, se succèdent des images d’icones byzantines et d’icones informatiques.


Le personnage de Christophe Colomb déclare dans le second épisode : « je suis un géographe qui fait de l’histoire, mon histoire est sur les cartes[3]». Suivi d’un plan sur une carte du monde représentant ce qui composent les membres du G20, soit 85 % de la production mondiale. Seuls les pays du G 20 sont représentés sur cette carte (l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, la France, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, la Russie, la Turquie et l’Union Européenne). Une carte politique de la représentation du commerce mondial et de ceux qui le dirige.


Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 2, « Le voyage», 2009

Dans le troisième épisode, une voie off déclare : « Le palais de Cristal c’est la rencontre fortuite entre Rainer Maria Rilke et Adam Smith sur une table de Jeu ». Je reprends ici la célèbre phrase qui servira à définir le surréalisme[4]. La deuxième partie de ce troisième épisode est une danse entre America, Europa et le boxeur de l’ombre filmée dans le Grand Palais.

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 3, « Le Palais de Crystal », 2009

Le quatrième épisode intitulé « Babel » est celui où apparaît l’administrateur de la tour de Babel ; à la fin de l’épisode, le spectateur aperçoit certaines œuvres présentées lors de l’exposition La Triennale d’art, La Force de l’Art 02, dont une pièce de Arnaud Labelle-Rojoux. Sont filmés les jambes et pieds des visiteurs qui arpentent les allées de cette exposition.

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 4, « Babel »,, 2009

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 4, « Babel », 2009



Le dernier épisode (l’espoir) est entièrement constitué de séquences filmées lors de l’exposition, on y voit les visiteurs filmant et prenant en photos les œuvres des artistes. Sur un plan où danse le personnage Europa, une voix off lit un fragment du texte de Peter Sloterdijk, « Nous voulons aller vite, nous déplacer rapidement, apprendre rapidement. Mais les pratiques culturelles exigeantes nécessitent de prendre son temps. Le monde est asymétrique. Les artistes sont ceux qui empêchent de sombrer dans les routines nocives de la vie. Il est temps de suivre cette voie. Il est temps de suivre les artistes[5 ]».

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 5, « L’Espoir », 2009

L’adaptation du texte de Peter Sloterdijk est une interprétation ou plutôt une traduction du texte. La traduction d’un texte traduit. La traduction est affaire de langage, de texte, de mot. Traduire c’est prêter une oreille attentive à l’autre, au texte et aux mots de l’autre. Une attention toute particulière à l’altérité que Jacques Derrida décrit dans un texte métaphorique sur la traduction[6]. La traduction du texte de Peter Sloterdijk est une pensée en acte, une pensée de l’intervalle, de la distance.


Une mise à distance que nous retrouvons chez Walter Benjamin qui définit la traduction comme étant une forme[7]. Avec cette notion de traduction, nous sommes assez proches du concept simondonien d’individuation que j’ai utilisé dans ma thèse[8] pour rendre opérant et justifier la double pratique des artistes-curateurs.

Chez Gilbert Simondon le concept d’individuation est à considérer comme être l’origine de l’individu. Pour opérer au processus d’individuation, Gilbert Simondon fait appel au concept de transduction, c’est-à-dire une forme de cristallisation. Il prend l’exemple de l’opération du changement physique du cristal qui est définitivement pétrifié et possède dès lors sa forme ultime. Dans son texte sur le Simondon, Jean-Hugues Barthélémy parle même d’une « pensée de l’individuation[9] » qui « est elle-même une individuation[10]».

Avec cette série de vidéos « Crystal Palace », je passe d’un processus de traduction par l’intermédiaire d’une cristallisation, à une mise à distance fictionnelle du texte original de Peter Sloterdijk.

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Générique, 2009

La nef du Grand Palais est comme un personnage que j’ai quant à moi complètement assumé pour cette série de vidéos sous forme de série télé. Une référence aux premières architectures de verre du XIXe siècle, devenues symbole du capitalisme « à la fois façade de vitre fumée de l’architecture tertiaire et bulle spéculative de l’activité économique [11]», selon la référence principale de ces vidéos, le philosophe Peter Sloterdijk.

Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Episode 1, « Le départ », 2009

Ce qui me tient encore à cœur dans ce projet c’est l’idée de coopérative filmique[12], un tel projet[13] - celui d’artistes qui invitent d’autres artistes au sein d’une grande manifestation comme cette triennale d’art contemporain - est une initiative rare et nous étions les seuls à le faire pour cette édition. J’irais jusqu’à penser que c’est parce que nous sommes des artistes attentifs, ayant fondé un artist-run space qu’une telle proposition a pu exister. Des espaces qui permettent la rencontre des hétérogènes mis en évidence par « le pouvoir d’une autre communauté imposant une autre mesure, elle impose la réalité absolue du désir et du rêve[14]».

Frédéric Vincent



[1] Peter Sloterdijk, « Le Palais de Crystal. À l’intérieur du capitalisme planétaire », Paris. Maren Sell, 2006, (trad. Olivier Mannoni).


[2] Cette vidéo est l’objet d’une publication, Frédéric Vincent, « Crystal Palace », Paris, Book Machine éditions et Centre Pompidou, 2013.


[3] Frédéric Vincent, « Crystal Palace, épisode 2, Le voyage », vidéo couleur sonore, durée 6 minutes, 2009, coproduction CNAP et Fondation d’Entreprise Ricard.


[4] La phrase originale est : « beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l’incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! » nous la devons à Lautréamont, « Les Chants de Maldoror », dans « œuvres complètes », Paris, éd. Guy Lévis Mano, 1938, chant VI, 1, p. 256.


[5] Peter Sloterdijk, « Le Palais de Crystal. À l’intérieur du capitalisme planétaire », Paris, Maren Sell, 2006, (trad. Olivier Mannoni).


[6] Jacques Derrida, « L’oreille de l’autre. Otobiopraphie, transferts, traductions ». Textes et débats avec Jacques Derrida, (Claude Lévesque et Christie V. McDonald, dir.), éd. VLB, 1984, p. 138.


[7] Walter Benjamin, « La Tâche du traducteur », in « œuvre I », Paris, Gallimard, 2000, p. 130.


[8] Frédéric Vincent, « L’artiste-curateur. Entre création, diffusion, dispositif et lieux ». Thèse en Art et Science de l’Art, soutenue le 2 décembre 2016 à Paris. Thèse Sous la direction de Monsieur le Professeur Yann Toma (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), membres du jury : Monsieur Jacinto Lageira (Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Madame Valérie Da Costa (Maître de conférence, HDR, Université de Strasbourg), Madame Françoise Vincent-Feria (Professeur, Université de Strasbourg), Monsieur Jérôme Glicenstein (Professeur, Université Paris 8).

[9] Jean-Hugues Barthélémy, Simondon, Paris, Les Belles Lettres, Figures du savoir, 2014, p. 37.

[10] Ibid.

[11] Ibid.


[12] J’utilise le terme d’entreprise filmique car ce projet de vidéos fut une entreprise collective. Ces cinq vidéos ont été réalisées par Frédéric Vincent, avec : Antonin Menichetti, Stéphane Lecomte, Anne Lise Dugat, Florence Budon, Virgile Tanc, Frédéric Vincent. Le montage a été réalisé par Arnaud Raquin, Clio Simon et Frédéric Vincent. La musique est de Frédéric Vincent. D’après les textes de Peter Sloterdijk, Herman Melville et Christophe Colomb. Une co-production du Centre National des Arts Plastiques et de la Fondation d’Entreprise Ricard.


[13] Invité à participer à cette exposition, Cannelle Tanc et moi-même, avons invité d’autres artistes à réaliser des vidéos ou films avec nous lors de la durée de cette exposition. Ces artistes sont : Georges-Tony Stoll, Camille Henrot, Youssef Tabti et Richard Negre.

[14] Jacques Rancière, Le destin des images, Paris, La fabrique éditions, 2003, p. 66.


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