L’année dernière, Liv Schulman originaire d’Argentine, présentait dans le cadre de la Saison Video 2017, un film intitulé Assemblée Générale qui a été réalisé en 2016 à l’occasion d’un post diplôme à Lyon. Un groupe de personnes occupe leur usine désertée de ballons d’hélium, faute d’autres occupations en perspective. Ils sont acteurs professionnels ou amateurs et jouent ce qu’il reste en cas de cessation d’activités. Leur disposition en cercle, comme le maintien d’une Assemblée Générale, la circulation de la parole qui s’avère interchangeable, le contenu des témoignages et leurs apparences donnent une dimension loufoque à la désincarnation en cours. En 2016 toujours, Liv Schulman invitée par la 5ème édition « Incorporated ! », de la biennale d’art contemporain Les Ateliers de Rennes, y a proposé la Saison 3 de sa série Control. Empruntant au genre de la série policière et créant de toute pièce en fonction des occasions et situations un personnage de détective (homme ou femme), l’artiste met en place des postures quasi burlesques tout en étant bien maîtrisées et pesées. Les textes rédigés par l’artiste sont très écrits et n’appellent pas l’improvisation. Ils mélangent des savoirs d’origines diverses et accompagnent l’étrangeté des gestes. Chaque détective déambule et monologue dans des environnements interchangeables. Control pour ironiser sur l’absence de contrôle vécu quotidiennement.
Liv Schulman, Control s03e03, « The Taxi Resistance », 2016, 9 mn 52
Une forme de fiction très relâchée
Mo Gourmelon : Dans le cadre de la Saison Video 2017, vous avez proposé le film Assemblée Générale, 2016, en même temps que celui de Paul Heintz Non contractuel, 2015. Votre approche du milieu du travail ou plutôt de la perte du travail est très spécifique et insolite. Control, une recherche sur le long terme prend la forme d’une série. Ainsi six épisodes ont été produits et présentés à l’occasion de la Biennale de Rennes Incorporated ! en 2016. Comment est né ce désir de composer un récit décliné en épisodes ? Quelles sont les possibilités que vous offre le genre : série ?
Liv Schulman : Control est une pièce que j’ai commencé à réaliser il y a sept ans. Elle est née de la nécessité de mettre en forme une série de textes que j’écrivais, à la manière de monologues, et que je voulais voir dans la continuité d’une forme. J’écrivais souvent ce type de textes qui n’étaient pas nécessairement de la théorie, ou en tout cas qui représentaient une forme de fiction très relâchée. Cette fiction était constituée de façon basique d’un mélange ou de la nécessité d’organiser le chaos paranoïaque qui nous entoure. Une fois, je me suis réveillée au milieu de la nuit et je me suis dit que je ferais une série qui s’appellerait Control, née justement de l’impossibilité d’exercer toute forme de contrôle quelconque dans l’absurdité universelle. L’idée de faire de la télévision me remplissait d’espoir. Cela me semblait un format souple, connu, et facilement transportable et transposable.
J’ai présenté à Rennes la troisième saison. En effet, il existe déjà deux saisons précédentes : la première que j’ai tournée entre 2011 et 2012 et la deuxième que j’ai tournée entre 2013 et 2015. J’élabore une série au ralenti en quelque sorte. Elle ne suit pas nécessairement les temps de production de la télévision ! En ce qui concerne cette dynamique de travail, ce type de format ou genre me permet d’accepter toutes les formes et tournures narratives. Ainsi elles s’adaptent à une consigne basique : un détective qui touche des choses et des contours, un monologue mis en œuvre par ce détective, une dialectique qui s’autodétruit et renait. Le genre de la série, sa possibilité infinie et son mécanisme interminable me satisfont. La possibilité de faire encore des épisodes est étendue. La série se passe dans la continuité. C’est une machine de création et de destruction de sens. Ce qui veut dire qu’il y aura des épisodes bons et mauvais, donc des meilleurs. Et cela me tranquillise.
Liv Schulman, Control S03 E01. « The Cave Syndrome », 2016, 8 mn
MG : Vos partis pris corroborent à quel point la série notamment télévisée s’apparente au théâtre plutôt qu’au cinéma. La majorité des épisodes a été tournée à Rennes, comment procédez vous à votre casting ? Comment dirigez les acteurs qui ont un texte pas si aisé à jouer ?
LS : C’est vrai que la série et l’esthétique du sitcom, notamment, relèvent d’une économie limitée : trois ou quatre décors, filmée en studio, à plusieurs cameras et surtout tournée en public, d’où découlent ces fameux rires des années 90. Ce type de contextes propose une grille de travail basique où s’installent certaines répétitions et variations qui, à mon avis, finissent par créer la série.
En ce moment, non seulement Control mais presque tout ce que je fais depuis quelque temps s’apparente davantage au théâtre qu’au cinéma. Cela dérive de plusieurs sources et notamment du fait que mon principal intérêt réside dans l’écriture, dans la parole et aussi dans l’articulation du langage. Un système se met en place dans un décor déterminé qui sert à acconier des mécanismes conceptuels et de jeu. Je fais le casting en pensant à la personne qui va jouer le détective. J’essaie de trouver un personnage dont le physique est intéressant ou non conventionnel. Parfois on passe une annonce et parfois je demande à une personne que j’aime bien de jouer le détective. Ce détective devient comme un outil catalyseur. Je n’essaie pas forcément de faire comprendre le texte ni de travailler la psychologie du personnage. Au contraire, je travaille l’aspect physique du jeu : le ton mystérieux, la voix parfois nasillarde, la tendance à toucher les contours des choses, la sensualité absurde et l’attirance envers les objets. J’ai tendance à croire qu’un comédien ne sait pas forcément ce qui se passe à l’image depuis l’intérieur et donc il doit se livrer à une forme d’instrumentalisation. Si ils/elles ne se souviennent pas du texte, ce n’est pas grave, on travaille dès lors avec des panneaux. Si c’est possible on apprend par cœur. Sinon, j’espère que l’on me fait confiance, en ce qui concerne le sens, notamment.
Liv Schulman, Control s03 e02. « The Shamanic Resistance », 2016, video HD, 7 mn 18.
MG : Vous semblez avoir une prédilection pour les lieux périphériques ou en attente de réaménagement urbain, des lieux interchangeables de ville en ville. Une administration et une bibliothèque tout aussi normées ne sont pas moins distinctes et complètent les décors. Des acteurs et des actrices endossent le rôle de détective en enfilant l’imperméable distinctif. Les personnages qu’ils soient en intérieur ou extérieur, ils trébuchent au sol, se retrouvent à quatre pattes, alimentent leur discours qui parfois se termine par « seulement personne ne le sait », en touchant avec insistance des objets ou matériaux. Leur jeu est très physique même si la parole débordant de références semble en décalage par rapport aux postures prises. Aviez vous des exemples en tête ou pour diriger les acteurs ?
LS : Oui c’est vrai que j’ai une prédilection pour ces lieux qui semblent interchangeables dans une ville ou une autre, des lieux périphériques qui semblent « génériques » et qui en réalité ne le sont pas. C’est vrai aussi que la personne du détective adopte ce caractère interchangeable, peut être parce que dans mon esprit au moment d’imaginer un détective j’ai imaginé une forme platonique, c’est à dire une idée de détective. C’est ainsi que l’idée du trench coat est venue, en pensant à des conditions minimales de construction d’un personnage. Je me suis dit qu’il suffisait de mettre un imperméable et de parler de façon un peu mystérieuse pour devenir un détective, avec les références basiques que nous avons dans l’histoire du cinéma et de la littérature. J’ai pensé à Colombo, à Sherlock Holmes mais aussi à Hercule Poirot, un détective particulier qui résout les affaires, assis dans son fauteuil, en mobilisant le pouvoir de sa pensée. Hercule Poirot est un personnage clé dans mon imaginaire, au moment de concevoir Control, car il signifie le fait que la pensée est imaginaire, mais aussi consistante. Elle est véhiculée à travers le toucher et l’insistance de certaines formes. Cela rend le jeu très physique en effet et un peu absurde. Mais la vie est ridicule en général. Il n’y a aucune règle qui stipule que le discours doit être séparé du corps.
Liv Schulman, Control s03 e 05. «The Povera Resistance », 2016, 8 mn 32
MG : Dans l’épisode « La Resistencia Taxista » (The Taxi Resistance) apparaît une marionnette qui incarne le rôle du chauffeur de taxi. Dans celui « La Resistencia Póvera » (The Povera Resistance) un gros caillou qui a une dimension sculpturale est déposé sur un terrain en construction. Pourquoi avoir décidé d’ajouter des éléments aux décors constitués ?
LS : Ce sont des objets transitionnels que je considère comme des personnages. Il est important que le détective puisse s’adresser à d’autres interlocuteurs que le spectateur, et qu’il développe une dynamique triste, avec de compagnons de route qui ne peuvent pas lui rendre la parole. La marionnette que j’appelle El Muerto (le mort) ou encore le gros caillou, sont des éléments récurrents dans l’imaginaire de Control. Je les vois comme des cartes de Tarot : un objet muet mais « sursignifiant », qui décide du signe de l’épisode et qui met le détective dans une situation d’interaction.
Liv Schulman, Control s03 e 05. « The Povera Resistance », 2016, 8 mn 32
Liv Schulman
Saison Video 2017